Lorsqu'un artiste signe un contrat discographique, il possède généralement dans sa besace de nombreux morceaux qu'il a composé en attendant de pouvoir les enregistrer professionnellement. Le premier album est souvent le haut du panier de ces titres, laissant ainsi sur le carreau pas mal de matériel.
Yngwie n'a pas échappé à cette régle. Si Rising Force et Marching Out étaient principalement composés de vieilles maquettes, Malmsteen a malgré tout choisi dans ce qu'il possédait depuis des années en piochant dans ce qu'il jugeait être le meilleur du meilleur.
Hormis de très brefs extraits sur la version 2 cd de l'album Inspiration et sur The Genesis, les secrets de composition du suédois restaient un mystère, hormis pour ceux qui avaient pu mettre la main sur les démos circulant sur des pirates. Mais un pirate a aussi ses limites : les fans ont souvent été confrontés à des copies de x-ième génération, donc avec un son plus que brouillon.
Si avec les années, Yngwie a distillé riffs et idées dans sa discographie à partir de ces vieux morceaux (The Wizard, Motherless Child, ...), il reste une grande part d'ombre dans ses créations pré-Rising Force.
De son aveu, Yngwie jouait sous la forme d'un trio guitare-basse-batterie car il ne pouvait trouver ni chanteur ni joueur de clavier. C'est donc sans surprise que les premières ébauches enregistrées sont majoritairement instrumentales, ressemblant à des amalgames de riffs où, finalement, le jeune Malmsteen mettait au point sa technique.
C'est ainsi qu'il faut entendre Powerhouse, un bootleg de 9 titres. Pas familiarisé avec les rudiments de l'enregistrement, et développant ses morceaux sur la longueur, Yngwie démontre ici déjà une bonne partie de son style à venir.
Voodoo Nights, qui figure sur The Genesis, existe dans une version plus longue, est ici interprété avec un léger manque de fluidité et de groove dans la rythmique. Yngwie n'est pas encore le monstre soliste que nous connaissons tous mais se débrouille plus que bien pour quelqu'un n'ayant que huit ans de guitare derrière lui. La structure du morceau n'est pas définitive mais les idées principale sont déjà bien présentes comme ce riff qu'il réutilisera et déclinera sous plusieurs formes. On remarque aussi quelques overdubs qu'Yngwie implante avec un subtil maniement de magnétophone. Cette version est intéressante et démontre que le jeune suédois a travaillé sa musique pour l'enrichir en permanence.
Evil String In A Minor est un court instrumental acoustique de moins de quatre minutes avec une trame répétée puis un passage soliste, flirtant avec le néoclassique et le flamenco par instants. Malgré une technique encore loin de son extraordinaire dextérité, Yngwie tente de petits passages sympathiques. malgré tout, hormis un bref passage composé, ce titre ressemble plus à un essai à la guitare classique qu'autre chose.
Killer fait parti des pavés qu'Yngwie a composé étant plus jeune : 12 minutes au compteur. Toujours en plein apprentissage de sa technique, Malmsteen propose des solis hésitant parfois. Après un riff qui pourrait être composé par Ritchie Blackmore, Yngwie décline une structure qu'il affectionne avec des breaks typiques de sa manière de composer. Les tempos lents sont aussi comme une sorte de contrepoint qui permet une respiration dans les instrumentaux, pouvant permettre une interprétation différente des solis, avec un climax autorisant d'autres gammes. La fin de Killer, à partir de la septième minute, est un essai du matériel jusqu'au final : Yngwie tente d'insuffler de la vie au titre avec une pédale à écho, où avec le système qu'il utilise sur l'intro de Plague In Lucifer's Mind. ce passage-là est par contre franchement ennuyeux et n'apporte rien musicalement.
Hunted n'est pas un morceau inconnu, puisqu'il figurait sur le double cd Inspiration, pendant près de 90 secondes. Le riff est une belle réussite, mélangeant le power-chord et l'arpège. Cette trame est répétée plus de 3'30 avant un passage resté inédit jusque-là, très rythmique avec une double caisse claire où le guitariste essaie un solo qui figurera sur Voodoo Nights par la suite. On retrouve également le passage groovy sentant l'influence Hendrix et Roth. Notez qu'il s'agit de l'exacte version figurant sur Inspiration. D'ailleurs, depuis le début du bootleg, le son est plus que valable pour des démos, surtout qu'elles ont presque 30 ans. On pouvait imaginer une faible qualité suite à la détérioration de la bande, mais il n'en est rien.
reste à savoir par contre si Malmsteen a enregistré le chant sur Hunted pour lequel il avait écrit un texte. Projet ou réalité, difficile d'envisager un chanteur sur un morceau qui ne laisse guère de place à cette possibilité. Peut-être qu'un jour sortira une démo de ce style... Hunted reste pourtant l'un des meilleurs outtakes de l'époque, et aurait gagné à être connu, en figurant sur The Genesis par exemple.
Burn The Wizard possède un riff où l'influence Scorpions est indéniable. C'est un morceau dynamique mais plus prétexte à faire un solo de quatre minutes. Rien de bien créatif ici hormis ce riff sympathique.
Labyrinth est un morceau typique d'Yngwie dans cette période. L'influence Blackmore est à nouveau de mise sur ce riff emprunté à Rainbow. la construction est du malmsteen pur jus, mais on sent que la patte personnelle est encore soumise au maître de Deep Purple. Très mélodique, on retrouvera le même style en partie dans la démo de Magic Mirror sur Rehearsals '83 qui n'a pas grand-chose à voir avec la chanson terminée sur Trilogy.
Toujours un peu limité avec une technique encore balbutiante, Yngwie n'arrive pas à insuffler l'énergie qu'il serait capable d'instaurer aujourd'hui. C'est dommage car Labyrinth en souffre un peu.
Merlin's Castle existe ici dans sa troisième version, la plus longue : 10 minutes! Après une intro bruyante et un passage acoustique, on retrouve le même morceau manquant néanmoins de dynamisme. Etirant les idées au maximum, on se retrouve avec une démo intéressante. Le bout de solo que l'on retrouvera dans Rising Force apparaît également. La structure demeure quasiment inchangée, mais le titre perd en impact vu sa durée.
Last Journey n'est ni plus moins qu'une version embryonnaire de Memories. Court instrumental d'à peine une minute, on retrouve une bonne partie de la structure de l'instrumental figurant sur Odissey.
Vikings Battle est le plus long des titres de ce bootleg Powerhouse : Yngwie parvient à jouer 20 minutes ce qui deviendra Black Magic Suite Op. 3 peu de temps après. La majorité des idées sont bien présentes, mais Yngwie se plait à créer des climax avec des passages aérés où il tente d'être plus mélodique que sur les riffs principaux qui sont toujours aussi hargneux. Version pachydermique mais pas indigeste d'un morceau culte, Vikings Battle montre néanmoins qu'Yngwie avait encore de nombreux progrès à faire pour synthétiser sa vision puisque le morceau terminé oscillera autour des 10 minutes.
Possédant un son plus que décent pour de si vieux enregistrements, et montrant un Yngwie tenant la majorité des tics stylistiques que l'on connait de son jeu ou de ses compositions (on voit aussi un jeune garçon découvrant la composition), Powerhouse 1978 est un témoignage de grande qualité. Limité artistiquement par défaut (ni chanteur, ni clavier), Yngwie pêche un peu en étirant sa musique au maximum puisque structurer les morceaux pour une voix ne s'imposait pas.
Ce document est exceptionnel à bien des égards et devrait être réalisé officiellement tant il montre une facette d'Yngwie abordée partiellement sur The Genesis. Cet album aurait pu être une véritable réussite archéologique si Malmsteen s'était donné la peine de vouloir franchement proposer la bible que les fans les plus acharnés souhaitent depuis des lustres. Bref, un must total!
Merci à Loïc sans qui cette chronique n'aurait pu être.